février
2011
La Chute
Rapide, économique et simple, la chute ouvre un champ d’exploration Tai Chi.
Les terriens
Nous vivons sur terre « comme des poissons dans l’eau » sans penser à l’air que nous respirons, à la pression atmosphérique qui nous pèse sur la tête et à l’attraction terrestre qui nous attire vers le centre de la terre.
Nous tombons sans cesse et le sol arrête notre chute en nous donnant la sensation de poids.
Nous sommes des êtres de chute au sens premier du terme. La chute libre nous est naturelle et tenir debout est un acte de résistance obstinée. La fatigue et le vieillissement nous ramènent à la terre, nous tombons jusqu’à la tombe. Humblement, l’humus nous attend pour nourrir de nouveaux élans.
La détente
Comme nous sommes forcément très attachés à la terre, le plus simple, le plus confortable et le plus sage est de l’accepter pleinement et de se détendre. Vivons heureux en regardant la vie, quand la mort sera, nous ne serons plus.
Le fait de se sentir bien, d’être bien dans son corps implique la gravité qui participe directement à la conscience de soi. Nous sommes graves, pesants et lourds mais cela n’empêche pas d’être joyeux.
La détente, l’abandon des tensions superflues sera le conseil récurrent de la pratique Tai Chi. Pas de ramollissement amorphe mais au contraire, le maintien d’un projet, d’une forme tendue vers un devenir, une invitation au voyage allégé des bagages inutiles.
L’exercice de la détente est sans fin, toujours remis en chantier par la persistance de tensions résiduelles acquises et par l’apparition de tensions renouvellées par les projets et les craintes.
La chute libre est un thème utile pour une détente plus profonde impliquant le système musculaire et son contrôle cortical et partant, une disposition mentale accueillante à l’égard de la vie.
La posture debout
Le maintien de la posture debout est assuré par le système anti-gravitationnel. Le cerveau, étendu au corps entier est constamment informé des états d’équilibre, de tension et d’aisance bref du confort de la posture.
L’économie d’effort implique un ajustement sur la verticale à partir d’une bonne base d’appui. Le squelette articulé et tous les petits muscles peri-articulaires assurent l’alignement mais en plus, les enveloppes et des fibres du tissu conjonctif (fasciae) forment un manchon sensible aux pressions liquidiennes et aériennes. La stature est hydro-pneumatique.
L’ajustement postural est permanent, il s’adapte aux relations intérieures et extérieures et la vie émotionnelle, perçue ou inconsciente nous informe de la position la plus adaptée à la situation.
Alignée sur la verticale, l’énergie de la pesanteur est recyclée dans le ressort du corps. Un mélange d’onctuosité et de fermeté en relation directe avec le mental, la vigilance et la vitalité. Qui n’a connu cette euphorie quand on rebondit sur l’évènement, que l’on s’adapte, se recharge et repart à propos.
L’exercice
La chute comme exercice c’est à dire comme expérience répétée et approfondie de ses effets.
La relaxation : On s’exercera sous le leitmotiv de » laisse tomber ». Lâche ce qui n’en vaut pas la peine, ce qui encombre indûment la tête et le coeur, ce qui alourdit le corps et inhibe l’action bref, ce qui empêche de voir plus simplement ce qui se passe. Retour à plus de réalisme.
En prélude au sommeil ou pour recycler l’insomnie, on renoue avec la chute. Le corps étendu tombe d’un bloc ou en parties, on se laisse tomber en appréciant l’enfoncement de plus en plus lourd dans le support.
A moins d’en avoir peur, l’image intériorisée du cadavre, du corps tombé à terre est un bon guide pour lâcher prise sentant que l’on vit suspendu au souffle.
On peut aussi se lâcher dans le vide avec le lit, le plancher et toute la maison, chutant indéfiniment sans trouver d’appui. Curieusement, la sensation du poids s’estompe au profit de la légèreté. Une légèreté immobile, en apesanteur.
La méditation : assis sur une chaise ou au sol, à sa convenance, on se laisse chuter en soi, au fond de soi dans une posture immobile, au fil de la respiration. Le fond physique s’ouvre sur la notion de racines. Le fond est là où je prends mon appui. L’histoire, la généalogie, la culture, les amours…les appuis affectifs et intellectuels viennent en lumière dans cette plongée en soi. Creusement en continu où l’on mesure combien la simple évocation suscite d’émotions et de tensions.
La chute debout : Que l’on trébuche ou s’endorme debout, un sursaut instinctif nous remet sur pieds.
La perte de stabilité provoque un réflexe postural qui court-circuite le contrôle conscient et ramène à la réalité de l’instant. On peut rejouer cette chute en se laissant tomber verticalement dans la posture comme si le sol se dérobait sous nos pieds. On découvre plus finement ce que signifie tomber et laisser tomber débusquant ainsi des résistances au lâcher-prise.
Cette chute provoque un sursaut de vigilance, on ressent le vide sous les pieds et l’on prend progressivement avantage de cette légèreté subite. La pesanteur n’écrase plus le sol , la chute allège; on est plus agile.
Le déplacement
La saisie de cet instant d’apesanteur, libre des forces de frottement sera l’occasion de bouger. Un pied puis deux simultanément pour changer de place, d’angle et d’orientation. Cette dynamique génère des déplacements « éclairs », peu coûteux en énergie et peu lisibles pour le partenaire/adversaire.
Tui Shou
La chute en soi inscrit un courant descendant à la terre capable d’entraîner la force adverse lorsqu’elle tente de nous déstabiliser. On pourra la gérer à l’extérieur, l’effet de chute provoquant comme un rideau protecteur, une chute d’eau qui entraîne le force adverse à la terre. Le corps fond ou disparaît sous la poussée et un trou béant s’ouvre pour faire chuter l’adversaire.
Plus intimement, on pourra laisser couler la force adverse à l’intérieur du corps pour la conduire à la terre en ne lui offrant pas d’appui. La force adverse ne trouvant pas où s’appliquer à l’intérieur du corps finira par rencontrer le sol pour s’y accumuler en comprimant le ressort qui en se détendant fera retour à l’envoyeur.
La Forme
L’exercice de la chute peut se faire en continu pour trouver l’appui au sol et déclencher le ressort qui portera le geste. Cette sensation est connue comme « questionner ou emprunter à la terre ». Attendre que les forces qui ont chuté nous reviennent jusque dans les mains, jusqu’aux bouts des doigts. Cette progression dans la détente, les tensions parasites ne font plus obstacle au cheminement de la pensée, permet de conduire le mouvement en douceur et en puissance.
Ecouter le cheminement interne de la sensation explique la lenteur du geste. Dans l’apprentissage, on perd usuellement en légèreté et en élégance mais l’ investissement est précieux pour qui veut goûter la saveur particulière de l’art interne.
Dans la vie
Faire confiance à la terre. On retrouvera cette proposition chaque fois que des tensions nerveuses excessives nous auront tiré hors de nous comme chaque fois que l’on sentira le besoin de se reposer et de s’installer.
Détente et assise n’ont pas à voir avec immobilisme. Au contraire elles sont un état initial pour aller plus sainement à l’aventure, pour sauter dans le vide et aller voir ailleurs.
Alors, laisse tomber , trouve ta verticale, construis ta posture et tu trouveras l’aisance !