La philosophie Tai Chi : une pratique existentielle.
La pratique du Tai Chi Chuan, sa gestuelle et ses variations de style à orientation martiale ou récréative nous font facilement oublier que derrière ce que l’on en voit vibre une vision du monde et de l’homme.
Dao
Pour évoquer la vie, son foisonnement et sa marche en continu, on parle du Dao. Un processus créatif qui va de soi et embarque toutes les existences particulières. On dit usuellement la Voie, en français. On ne peut se l’approprier, on en voit les traces; on en fait partie et on ne peut qu’y adhérer. Des acceptions particulières font entendre qu’il s’agit d’un chemin de développement personnel au sens d’une réalisation intérieure. On parle ainsi de la Voie des arts martiaux (BuDo) au sein de laquelle des adeptes pourront trouver leur Voie et, éventuellement se frayer un chemin dans la vie. Quand on s’interroge sur la vie, ses origines ou son commencement, on bute sur la question de l’avant. Qu’est ce qui avait avant?
Wu Chi (sans trace,sans origine).
C’est le mystère initial. On essaye de comprendre, de saisir quelque chose en remontant au début mais, on a beau scruter l’horizon de notre entendement on ne distingue rien. Silence, vide, obscurité !
Tai Chi (l’Un, le Tout et le principe).
Mais il faut bien commencer alors, on parle d’un point ou d’un moment inaugural. La vision s’organise, l’entendement trouve un repère, un point d’appui. On peut commencer à comprendre. Tai Chi, le principe universel se donne comme point de départ et comme règle qui gouverne l’ensemble de la manifestation. En un sens plus particulier, l’individu est un Tai Chi, son corps organisé est un Tai Chi. Ce principe qui couvre tout l’édifice s’appréhende par l’harmonieux déséquilibre yin/yang.
Yin / Yang
C’est la coïncidence, la concurrence et l’intégration dynamique de deux polarités opposées et complémentaires. Au coeur de la globalité Tai Chi, les souffles Yang, plus subtils s’élèvent et vont former le Ciel alors que les souffles Yin, plus lourds se condensent pour former la Terre. Ainsi, au Ciel qui nous couvre, la puissance solaire, l’esprit et l’initiative créatrice, A la Terre qui nous porte, la gestation, la nutrition et la mise en forme des projets et des corps. Entre les deux pôles yin / yang s’inscrit toujours un écart, un vide essentiel qui permet leur relation continue. Sans distinction il n’y a que confusion et sans vide médian pas de relation.
Le vide et l’énergie, le Chi
Le Vide est le lieu de la vie, sans vide, pas de libre circulation. Le vide est la condition pour que les échanges et transformations Yin/Yang puissent opérer. De la matière palpable à la matière subtile, tout est Chi et c’est la dynamique yin/yang qui active le Chi. Nos sens n’appréhendent que les apparences mais le fil conducteur yin/yang nous aide à saisir le fonctionnement caché. Ce regard sur la vie et son fonctionnement peut paraître naïf mais il a le grand avantage d’être pratique et praticable. L’exercice du Tai Chi Chuan y prend ses références et la méthode d’entraînement implique la mise en oeuvre consciente du Tai Chi, c’est à dire du Yin/Yang c’est à dire du vide et du Qi.
Entrer dans la Voie du Tai Chi c’est remettre en jeu et en chantier la construction de soi et de ses rapports aux autres et au monde et c’est là le projet Jisei Do tel que formulé par Kenji Tokitsu et pratiqué dans nos cours.
Le paysage TaiJiQuan se construit sur la référence au Qi et à la dynamique yin/yang. Tout comme il est insatisfaisant de chercher à traduire en français le nom TaiJiQuan , il est tout aussi illusoire de trouver une traduction satisfaisante au terme Qi Gong. Mais, en fin de compte, peu importe, il est plus utile de préciser ce que l’on entend et propose sous cette appellation d’origine chinoise. Partant de la traduction usuelle de Culture de l’énergie , je propose de situer la pratique dans une perspective éducative. Reprenons pas à pas.
Le Tai Chi Chuan est classé dans la famille des arts internes. Cela semble aller de soi, chacun se faisant du Tai Chi Chuan une idée toute en rondeur, en douceur et en lenteur. Mais, à mon sens, cette appellation implique des principes et des modes fondamentaux de la pratique.
Intérieur, intériorité, intimité.
En voilà trois qui résonnent à mon oreille.
L’INTIMITE
l’aventure me concerne, elle commence avec moi. Il ne s’agit pas de la conquête d’une technique mais bien de la découverte progressive de ce qui me fait être. Une Vibration tellement intime que bien souvent, faute de recul, elle passe inaperçue. On se trouve donc d’emblée dans la construction de soi avec le désir de reprendre en main les forces de développement. On ne cherche pas de solution toute faite dans des identifications avec les modèles triomphants de la réussite richesse, du pouvoir, de la victoire ou de la domination. Non, on reprend l’aventure à l’intime, dans la profondeur du corps pour y instiller la détente.
L’INTERIEUR
Une conscience attentive aux crispations installées , aux contractions inutiles, aux restrictions de mouvement ou aux rétrécissements des flux. Attendrir la chair en y installant douceur et tendresse, comme un sourire, un abandon confiant à la pesanteur et à la terre qui nous reçoit. La force qu’on dit volontiers profonde en se référant à la robustesse, vient de l’os. La charpente osseuse est inséparable cependant de l’articulation et du muscle.
L’OS sera porteur du redressement, garant d’un alignement qui conduit droit à la terre et neutralise ainsi les forces qui nous déséquilibrent.
L’ARTICULATION garantit l’harmonie du mouvement de toutes les pièces qui composent l’ensemble du corps individuel. C’est un rouage précieux qui redistribue les forces de la verticalité. A la fois point d’appui et point pivot, ce relais capte et redirige les forces alentour.
Le MUSCLE permet l’expression élastique de la force. Il sera sollicité moins dans sa contraction que dans son étirement par éloignement de ses insertions. Jouer du grandissement contre la pesanteur, de l’ouverture contre l’enroulement et du dégagement contre l’étouffement nous incite à vivre la présence à soi en volume .
Le VOLUME voilà que se dégagent un intérieur, un creux et une enveloppe externe : un oeuf. Ce creuset entre crâne et pelvis sera le lieu symbolique de nos transformations . La dynamique yin/yang y joue à plein rendement. haut/ bas, avant/arrière, gauche/droite, superficie/profondeur, fermeté/douceur, droite/courbe,…
L’INTERIORITE
Trouver son centre. Lieu d’équilibre entre les tensions contrastées, la posture centrée permet de libérer la force dans toutes les directions. point départ et point de retour pour de multiples voyages intérieurs, la posture centrée permet l’expansion comme la concentration. Moyeu d’une roue qui tourne dans les trois dimensions, la posture centrée est partout dans l’axe de notre désir. L’orientation permet de marcher vers l’essentiel. L’intériorité est une boussole qui évite de se perdre dans la mesquinerie du quotidien. Pauvreté de la richesse, du pouvoir et de la propriété quand ils nous possèdent. La jouissance du simple fait d’être là permet d’aborder tous les terrains sur tous les plans et, comme une oeuvre qui se construit, de cultiver les forces de notre devenir.
Tai Chi Chuan: la confrontation implique la rencontre, là où intériorité et intimité ne sont pas égoïstes, n’excluant pas l’autre dans un nombrilisme suffisant. Elles sont au contraire la force de l’individualisme qui toujours va vers l’autre dans son individualité. Une force qui permet d’ouvrir ou fermer, de choisir ou d’éviter, de dire oui ou non pour trouver en l’autre la fréquence d’intimité utile à la relation juste.
L’ART INTERNE qualifie donc ce processus qui partant du corps et de l’exercice selon des critères précis inscrit progressivement ses résonances dans l’esprit, le coeur et le comportement de l’artiste engagé dans la Voie.
Le Tai Chi Chuan aujourd’hui est-il un art martial ?
Il est bien malaisé de répondre catégoriquement à la question. Certains choisissent clairement d’abandonner l’idée martiale et pratiquent une gymnastique de santé ou une danse où se cultive l’énergie selon la perspective d’une tradition chinoise dite taoïste. La difficulté vient de ceux qui optent pour l’art martial mais ne peuvent en définir les contours et les implications.
Essayons d’éclairer le propos…
Si Mars est bien lié à l’art de la guerre
on ne peut que sourire de la lenteur, de la douceur et de l’imagination de ceux qui jamais ne se vérifient dans l’affrontement. Aller au combat invite à se forger un corps et un mental capable de tenir le choc. Il faut se renforcer. Savoir clairement ce que l’on veut et être prêt à s’exercer assidument. Qui dit force dit muscles et ossature, sang et souffle, coordination neuro-motrice et entraînement. Mais, là où le sport invite à se construire dans la performance – plus lourd, plus vite, plus loin – le Tai Chi Chuan valorise l’exercice interne.
Exercice interne, Qi Gong, qu’est-ce-à-dire ?
Le concept d’énergie ( Qi) ne sépare pas le souffle du sang et de la globalité du corps mais la culture de l’énergie (Qi Gong) y ajoute la pensée c’est à dire, la représentation imagée de ce que l’on veut faire et l’écoute c’est à dire, l’éveil d’une sensibilité consciente pour sentir et ressentir. Ici, la résistance est imaginée en même temps que le mouvement et, plus elle est importante, plus l’effort est conséquent!
La formule est intelligente. Pas de matériel, pas de tenue, pas de lieu spécialisé. Une détermination tranquille et une concentration souriante pour « allumer » les circuits sensori-moteurs qui portent le geste intégré. Une ligne à haute tension qui court de l’appui au sol à la main qui agit, de la profondeur de l’os jusqu’à la peau en passant par tous les rouages mécaniques et énergétiques où la force prend appui.
Toujours, on soigne la détente en relâchant l’excès de tension, toujours on cherche l’allongement en éloignant les insertions et toujours on intègre l’action locale à la globalité de la posture. Peu d’effort musclé et beaucoup d’effet. On sollicite non seulement la suite musculaire qui fait l’action mais aussi celle qui s’oppose à l’action et on joue de l’alternance et de la coïncidence ( la dynamique Yin/Yang) des actions contrastées ( tirer/pousser, étirer/concentrer, lever/abaisser,…). Peu de déchets métaboliques et pas de fatigue profonde avec, au contraire, une transpiration salutaire et une sensation tonifiante.
Si la lenteur est nécessaire pour construire la robustesse et faire le geste plein, l’expression peut être explosive, libérant dès le départ une grande énergie sur une courte distance.
La pratique martiale de Tai Chi Chuan , au sens plein du terme, associant lenteur et vitesse est peu répandue. Elle se construit sur les différents 3 registres usuels de l’entraînement :
Les QiGong statiques et dynamiques; une ou des formes condensant le répertoire gestuel
L’exercice en duo/duel, de « la poussée des mains » tui shou au san shou, forme libre de combat associant les percussions, balayages, prises et projections. Dans cette orientation, il ne suffit donc pas de pratiquer la poussée des mains en douceur ou en force, de faire des applications d’auto-défense pour justifier les séquences formelles ou de développer des forces inusitées par le Qi Gong pour se qualifier de martial.
Seule l’expérience du combat libre inculque cette science du combat. Le respect de soi et le respect de l’autre font partie de l’enjeu. Il s’agit de ne pas se blesser. Aller plus loin dans le réalisme de l’affrontement relève moins de l’art que de la guerre ou l’autre n’est qu’un obstacle à éliminer.
Si Mars est une référence symbolique
invitant à conserver l’acuité de l’art martial dans la formation de soi, il n’y a pas lieu de sourire devant la douceur d’une philosophie qui dépasse l’affrontement par la non résistance et invite chacun à ne pas se faire l’adversaire.
En effet, il en faut au moins deux qui s’opposent pour nourrir la brutalité du combat; le Taichichuan invite à ne pas être celui qui servira d’appui à la force adverse.
La grande force se cache dans la douceur et l’aisance. Il faut être solide pour s’ouvrir à la vulnérabilité, pour accepter et accueillir l’agression sans en souffrir laissant l’attaque s’annuler dans le vide de la non résistance.
Ainsi, la vulnérabilité se cultive dans l’éducation martiale car il ne s’agit pas de se soumettre par débilité, paresse ou lâcheté mais de choisir la liberté. Ni agressif ni craintif, à l’image de l’eau qui emplit les creux, contourne les obstacles, dissout ou ravine, se vaporise avec la chaleur et durcit avec le froid le pratiquant cultive la transformation et l’adaptation.
Joindre la force et la fluidité, la légèreté et la pression, la malléabilité et le surgissement, le calme et la créativité, tel est l’esprit Taichi où le plaisir est la lanterne qui éclaire le chemin.
Dans les rencontres européennes de Tai Chi Chuan, il est d’usage de se retrouver pour « pousser » lors des après-midi Tui Shou.
Après un certain temps, il ne reste généralement que quelques « gros bras » à s’escrimer alors que les autres s’ennuient alentour.
Question? Pourquoi s’entêter au Tui Shou statique, sans déplacement alors que cela conduit assez invariablement à augmenter l’engagement musclé niant les principes d’aisance, de sensibilité et de souplesse propre au Tai Chi Chuan.
Là même où la progression martiale ne voit qu’un exercice, certes fondamental, vers l’intelligence du combat rapproché, l’entêtement musclé met un terme à la possibilité d’évoluer dans l’esprit Tai Chi.
On est parti d’une réflexion sur la détente, abandon des tensions parasites pour arriver à la notion d’une tension harmonieuse, c’est à dire un détente active qui accepte l’usage d’une force bien dosée répartie sur l’ensemble du système.
Le troisième temps de cette réflexion met l’accent sur la continuité corps/esprit dans l’équilibre tension/détente. Sans corps, pas d’esprit et, sans esprit pas d’humanité .
La culture Tai Chi se réfère explicitement au cycle – intention / énergétisation / action où l’intention suscite l’énergie qui elle, porte le geste qui lui, libère la pensée. La pensée libérée, rendue disponible pour un retour sur le résultat, engendre une réflexion puis, une autre intention et ainsi de suite. Plus on fréquente cette dynamique d’achèvement du cycle qui va de l’intention à l’acte, plus l’agir devient efficace pour devenir progressivement une manière d’être et de se comporter dans l’existence. On verra ainsi se conjuguer:
Un premier temps, très pragmatique, qui incite à clarifier l’intention, à la simplifier et la préciser. On parlera de centrage plus que de concentration. Choisis ce que tu veux, évite ce que tu ne veux pas et fais ce que tu fais!
Un deuxième temps nous disant : écoute, sois réceptif à l’énergie. Réveille tes sens! Sentir et ressentir pour tirer davantage du presque rien quotidien. Les sons, les goûts, les couleurs, les odeurs, les textures, la chaleur, les présences,…tout est dans la nuance et rien n’est sans effet. La jouissance de soi invite à se réjouir! La pensée laisse sa trace dans le corps. Comme c’est beau, comme c’est bon, comme c’est doux!,….autant d’occasions de laisser résonner les effets d’une pensée de la jouissance heureuse.
Un troisième temps incite à la curiosité. Apprendre pour comprendre et cultiver l’interrogation. Hors de notre portée immédiate s’organise le monde. Si le trop grand, le trop petit ou le trop complexe arrivent à nous par la techno-science, c’est surtout par l’intelligence partagée avec tous ceux dont on procède que l’on y a accès. Curiosité rime avec créativité. Découvrir les autres qui ont imaginé, inventé et composé des oeuvres inédites, inouïes et impensées. Mais découvrir aussi notre propre créativité source de création et de recréation.
Le devenir est toujours en mouvement dans le processus de vieillissement. Mais Il s’alimente du suspens dans le processus de rajeunissement. Suspendre l’agitation pour rencontrer la différence, l’inconnu, l’ailleurs ou l’autrement et découvrir le plaisir de l’autre.
Penser prépare ou inhibe. En ressentir physiquement les effets c’est accepter l’émotion et commencer à lire l’histoire de sa vie. Vaste proposition qui invite à laver ces yeux qui semblent regarder le monde alors qu’ils y projettent notre entendement et notre représentation. Il convient de reprendre l’aventure oubliée, celle de l’enfance et de notre construction mentale. On se réserve le droit d’inventaire des idées reçues, des a priori et des croyances qui bornent notre horizon. On interroge le socle culturel sur lequel s’est bâti notre perception: Qu’avons nous implicitement accepté et enregistré comme idée du monde?
Observateurs et acteurs, nous sommes pleinement embarqués dans l’aventure qui crée notre monde «à notre image». La détente réactive la capacité à suspendre le mouvement pour inventer c’est-à-dire pour revenir à soi et en soi, faire l’inventaire et imaginer d’autres issues. Exercice perpétuellement inachevé, le processus fait encore et toujours appel à la détente. L’abandon des fixations inutiles est toujours d’actualité car chaque idée engendre sa logique et l’idéologie, la logique d’une idée impose des crispations et des arrêts là où il est préférable de fluidifier.
Une philosophie du bien-vivre. Le plaisir d’être là, est en rapport avec notre ouverture d’esprit. La tension harmonieuse nourrit la sensibilité et accroît la sensualité. La jouissance est à l’honneur : Se libérer ou tout au moins s’alléger, choisir d’être heureux pour partager son plaisir avec qui le peut et qui le veut.
Cette proposition hédoniste invite au choix, non au retrait du monde, à la conscience éclairée et non à l’extinction de ses désirs.
Détente et tension harmonieuse n’invitent ni à subir par mollesse ni à dominer par stratégie mais, tout à la fois, à suivre et conduire son attelage pour aller avec plus de lucidité paisible et amoureuse.
La construction posturale est un temps fondamental de l’apprentissage et la pratique du TaiJiQuan. Chercher la posture juste est, avant tout, une pratique qui nous met en place et nous fait tenir debout. Pratique exigeante pour réunir chez un même individu alignement corporel et détente, force et douceur, redressement et relâchement, stabilité et disponibilité.
C’est un investissement précieux pour aborder le quotidien du corps, du geste et du mouvement. La persévérance et nécessaire mais la performance est souvent toxique. Plus on cherche dans le registre naturel, sans perdre l’exigeance des repères, plus on s’approche d’une validité tout terrain. Avec le temps, la conscience posturale devient un état d’esprit, une posture existentielle. Le corps est le lieu où j’habite et d’où je parle, garant de mon autonomie. On gagne en simplicité et en authenticité en veillant à ne pas se départir de la référence à l’expérience personnelle.
Dans la pratique des formes solo qui constituent la partie la plus populaire de la discipline, il me semble par contre erroné de s’attacher à des postures, comme si la chorégraphie était une suite de photos étiquetées « postures » : La grue blanche, le serpent qui rampe, les 7 étoiles,…pièges de la traduction et de la réception des premiers temps qui ont tendance à se figer et à être répétés à l’envi sans remise en question, le mot remplaçant le concept. Sans doute? On dit de la forme que gestes et mouvements coulent comme les eaux du fleuve, que les 8 « techniques » ne sont que transformations d’énergie qui, en effet est qualifiée par les incessantes mutations yin/yang. Dès lors, il n’y a pas » d’arrêts sur image » et la chorégraphie vit de sa fluidité et de sa continuité. On n’arrête pas l’écoulement du fleuve, on y voit une puissance profonde canalisée. Elle s’accumule, fait des vagues et des tourbillons pour contourner ou submerger l’obstacle mais elle ne s’arrête pas. Néanmoins, il n’y a pas deux fleuves pareils ni deux instants identiques dans le même flux. La vitalité du solo vient de l’interprétation de l’acteur, pas de la répétition scolaire de postures bien cadrées. L’esprit peut y lire des instants, capter des moments y sentir des poses mais il se régale de la puissance continue et contenue dans l’euphorie de geste bien conduit.
Dans l’exercice tui shou en duo (poussée des mains selon la piètre traduction en usage) où les mouvements et les variations sont constants, il importe que les fondements posturaux soient bien établis tant la circulation de l’énergie dépend de l’intégration posturale. Les repères formels qui font la posture – écart des pieds, avancée du genou, retrait de la hanche, ouverture des épaules, dégagement du port de tête,… – sont utiles pour éveiller la sensation de l’énergie et sa mobilisation mais, dans la joute plus libre, ils perdent souvent leur rigueur formelle. Ils se transforment mais ne perdent pas leur cohérence énergétique. Il n’est pas bon d’être « en mauvaise posture ».
La posture, on y revient incessamment pour améliorer l’efficacité sans effort, l’élégance du geste. C’est dans le QI Gong où l’on cultive la sensibilité à l’énergie et à sa mobilisation que l’exercice trouve son plein rendement. Dans l’apparente immobilité posturale où l’on » tient la pose » se joue l’activation des tensions contrastées, des forces concurrentes qui aiguisent le senti et le ressenti. Là où l’on ne voit rien, où rien ne semble se passer, le courant passe, effectivement.
Se poser, se déposer, se transposer et, pourquoi pas se reposer, la posture bien comprise conjugue les effets de la pratique TaiJiQuan.
Nous vous annonçons avec joie et fièreté que nous avons créé une chaîne YouTube pour les vidéos de l’école. Ainsi, une série de vidéos réalisée par Jean-Luc Perot sont en ligne. Pour les visionner rendez-vous dans la rubrique Nouveautés -> Vidéos.
Par ailleurs, nous avons aussi lancé un photostream Flickr pour les photos de l’école. Pour les visionner rendez-vous dans la rubrique Nouveautés -> Photos.
Le premier temps de cette réflexion situait la détente en contraste avec la crispation et la susceptibilité qui signent habituellement l’excès de stress non résolu. On dégageait quelques pistes pour prendre conscience de cet excès et le résoudre en douceur.
Passons maintenant à l’harmonisation des tensions càd à une répartition équilibrée de telle sorte que, de l’intention à l’action une vague d’énergie circule sans obstacle, sans stagnation ni retenue en évitant les excès et les manques. Ainsi la tension initiale se résoud dans le mouvement rendant le système à nouveau disponible pour une autre intention/action. Comme toujours, c’est dans le corps et par le corps que nous nous mettons en chantier.
Nous le redisons, l’ordinaire et l’extra-ordinaire impliquent l’activation musculaire, c’est à dire, un tonus de base, une mise en tension et son relâchement.
Tenir debout
Tenir debout impose une tonicité posturale qui résiste à l’attraction terrestre. Le corps a la solidité et la puissance pour gérer cette mise sous tension dans l’économie et le confort. Toute tension surajoutée ne dénote pas une plus grande force mais bien au contraire, un défaut de force.
L’aisance est le signe d’une force bien répartie dans le corps.
L’ensemble des os, des articulations, des tendons et de toutes les variations sur le thème du tissu conjonctif forment la structure qui fait tenir ensemble et se mouvoir.
Le mot – structure – nous parle de cohérence. La cohérence implique des connexions, des liens qui informent l’ensemble des composants qui font la forme. Derrière la forme que l’on voit, il y a donc tout un réseau de relations, mécaniques, organiques et énergétiques qui maintiennent la conformité de tous ces entrelacs tissulaires. Les défauts de cohérence ( d’alignement, de souplesse et de fermeté, d’élasticité et de conduction) créent des manques, des trous, des déséquilibres qui fragilisent l’étoffe dont nous sommes faits. Un manque se compense par un excès et un excès en un lieu signe le manque en un autre endroit.
Résultat, la force qui devait être prise en charge par l’ensemble , des pieds à la tête et aux mains concentre ses effets en des points qui souffrent ou cèdent parce qu’ils ne sont pas faits pour un tel labeur, pour une telle pression ou une telle tension.
La tension harmonieuse, au repos ou dans l’effort implique la conscience et la participation de l’ensemble.
Vu sous cet angle, la posture évoque les moyens nécessaires et suffisants pour faire tenir debout dans l’attitude choisie. Et c’est cela qu’il nous importe d’identifier.
La tension minimale repérée, nous pourrons jouer les variations sur le clavier énergétique sans perdre de vue l’essentiel.
Le jeu des Forces
Sur le canevas de la station debout bien posée, alignée et dégagée on jouera de mises en tension volontaires pour créer de courants et des effets de force.
Penser un geste instruit le corps. L’intention mobilise la sensation et l’émotion, un circuit moteur est allumé.
Le principe est simple. Tout commence à la terre et on construit à partir des fondations. L’application d’une force, poussée ou traction se lit à partir d’un point d’appui, dans une direction et un sens. elle agit en suivant une trajectoire qui s’oppose à une résistance. Debout, la verticalité absolue de la posture trouve un appui évident au sol, sous les pieds. Cet ancrage sera toujours présent mais, dans le plan horizontal, il sera relayé par des appuis secondaires réels ou imaginaires, la pensée créant la sensation.
Au premier regard, le dos et le bassin s’offrent spontanément puisque l’on est lesté par le fond dans l’assise et adossé à l’arrière. L’axe central interne, ligne imaginaire tendue «entre ciel et terre» se reflète dans l’axe vertébral et dans l’alignement de relais identifiés comme charnières énergétiques (chacras).
Ces relais reprennent usuellement les plantes des pieds et les paumes des mains connectés à l’axe central où s’alignent 7 niveaux vibratoires ,de l’assise au fond du bassin jusqu’au sommet du crâne en passant par les lombes et l’ombilic, la taille et le diaphragme, le coffret thoracique et le coeur, la nuque et la gorge, l’occiput et le front.
Les pôles extrêmes de cet oeuf énergétique s’enrichiront de la sensation de corne, antenne vers le sublime et de queue prenant un contact plus tangible à la terre, le tout s’associant dans l’effet d’ensemble.
Mais le principe s’étend à tout le corps. Si la paume des mains est un appui évident pour se tirer ou se repousser, à l’usage, n’importe quelle partie du corps ou du décor peut servir d’appui.
Si la résistance fondamentale est le poids corporel, elle pourra également s’enrichir de résistances imaginaires, tensions élastiques, obstacle à déplacer ou milieu à forte viscosité.
Donc: 2 attitudes – passive pour recevoir paisiblement une surcharge et active pour répondre avec aisance, sans tensions superflues ni vides ou avachissement.
La détente est dans l’alignement postural et la répartition harmonieuse de la tension qui s’exprime et se résoud entre intention et action.
A suivre,… L’idée, propos et intention change le dynamique énergétique; la pensée s’inscrit dans le corps et l’entraînement à la dynamique posturale se fait philosophie pratique!
Jean-Luc
“Détendez-vous, Soyez mois contracté, prenez le temps de vous relaxer!“ Invitations tellement familières que l’on entend et croit comprendre sans pour autant savoir comment faire.
L’idée qu’on s’en fait
Tension et contraction évoquent a priori des dynamiques opposées mais dans les deux cas, on comprend qu’il y a quelque chose à lâcher ou relâcher. La contraction insiste sur le resserrement. On réduit la longueur ou le volume en rapprochant les extrémités. On peut avoir les traits crispés, la gorge et le cœur serrés. On pense au muscle qui une fois resserré n’accepte plus d’être étiré.
La tension elle, étend en éloignant les points d’attache ou en augmentant la force d’étirement. On y sent l’effort. On tend la corde d’un arc pour augmenter sa puissance, on tend la corde d’un instrument pour le rendre vibrante, un style d’écriture peut être tendu de même qu’une relation humaine. Le nerf, initialement désignait le muscle et son tendon tels qu’on les distingue maintenant – on avait les nerfs tendus et on réagissait à la moindre pression.
Notre fonctionnement
Nous vivons de la relation et la contraction musculaire est la réponse physiologique à la pensée ou à l’émotion. Mouvement volontaire, réflexe ou réaction végétative, le système nerveux s‘exprime par la contraction. Mais le langage normal de l’action est contraction/action/relâchement.
C’est la perturbation de ce fonctionnement qui fait que l’on reste tendu.
Il ne s’agit donc pas d’abandonner la tension (mort) mais de l’ajuster. Une tension résiduelle, une contraction inutile, un état d’inquiétude, une susceptibilité, une irritabilité, une hyper réactivité,…Autant de degrés pour décrire l’état de tension. Comment faire? Tension et détente sont des processus intriqués qui se répondent incessamment. On n’est pas tendu ou détendu une fois pour toutes. Alors?
Se rendre compte de l’état de tension
La détente commence souvent par la prise de conscience. Car même quand on en souffre, on ne se rend pas spontanément compte de notre excès de tension. On vit avec, on a l’habitude, c’est comme ça, tout le monde est ainsi dans ma famille,…
La prise de conscience prend ses repères dans la sensation. Il faut en faire l’expérience.Douleur, restriction d’amplitude, crispations, déformations et déviations posturales sont des signes de tension et Il faudrait y ajouter le tableau des réponses neuro végétatives qui signent l’excès de stress non résolu. douleurs articulaires, haute tension artérielle, émotivité, contractions, spasmes,…
… et se donner les moyens de l’ajuster
A l’écoute de la détente, on perçoit de la lourdeur et de la chaleur, des picotements peut-être, la respiration s’approfondit et on se met à bayer.
Une contraction volontaire suivie de son relâchement permet de mieux identifier et savourer la décontraction.
Les étirements progressifs augmentent la sensation musculaire; on identifie le trajet, les points d’attache des muscles ainsi que leur action spécifique ou encore, la suite de muscles étirés dans tel ou tel geste.
La mémoire pour évoquer les bons moments où l’on a respiré la détente.
Instants de bonheur, moments de félicité insouciante,… Le bonheur est tout près mais, inconscient dans l’expérience, il faut une légère distance pour en identifier le passage. Détente une fois le besoin soulagé, l’effort récompensé ou le conflit apaisé mais aussi détente de la sieste et du rire, d’une pause méditative à l’odeur d’herbe fraîche dans les premiers soleils, jouissance de tous les petits et les grands plaisirs,…
Ce qui était tendu par le désir, l’effort ou la fatigue est détendu par la satisfaction. Soyons satisfaits! La peur et l’insatisfaction stagnante nous crispent.
Comprendre les mécanismes
L’expérience se complète par la connaissance et la compréhension des mécanismes mis en jeu dans l’adaptation et la réponse au stress.
Face à une demande, l’organisme se mobilise pour l’action. Il met en branle la chimie propre à la réponse musculaire: activation de la respiration et redistribution de la masse sanguine, augmentation de la disponibilité en glucose,…et, en fonction des mouvements nécessaires le muscle sera plus ou moins tendu, prêt à répondre à la situation.
C’est un système interne au muscle ( le fuseau neuro musculaire et la boucle gamma) qui ajuste ce tonus pour répondre par des mouvements rapides ou lents, courts ou longs,… L’action passée, la demande satisfaite, on s’apaise et revient au régime ordinaire.
Toute situation nouvelle, inconnue ou reconnue comme difficile – risque d’échec, peur d’une sanction ou transgression de l’interdit- nous inhibe. Elle nous empêche d’agir et donc de résoudre le stress dont les effets négatifs s’accumulent et s’inscrivent «en dur» dans notre posture, notre fonctionnement et notre comportement.
Une stratégie de bien-être
Se détendre c’est aussi une philosophie du bien vivre; on cultive la satisfaction profonde, l’émerveillement et la curiosité devant le vivant.
En effet, si le système réflexe gère silencieusement les contractions propres à maintenir l’équilibre de la posture, le conscient et le subconscient gèrent aussi la sensibilité neuro-musculaire qui influence directement le tonus musculaire de base. La disposition intérieure résonne ainsi sur la “susceptibilité” du système.
Et c’est aussi AGIR.
Agir car la détente active n’a rien du refuge dans l’indifférence ou de l’extinction du désir. Pas d’agitation et pas d’activisme mais une action ajustée en relation avec la satisfaction et la résolution de la tension. Evitement intentionnel, affrontement décidé , négociation conflictuelle ou inhibition très passagère, les stratégies de la réponse au stress sont connues, il s’agit de les mettre en oeuvre en gardant le cap de la détente qui libère l’action efficace.
Tout un programme, toute une culture où le Taichichuan joue pleinement dans l’harmonisation des tensions et le plaisir partagé.
A suivre… « l’harmonisation des tensions et la construction du corps énergétique»