Le Tai Ji Quan
LES TEMPS MODERNES
La formulation du Taijiquan, tel que nous le connaissons aujourd’hui, s’est mise en place à la fin du XIXème siècle pour se diffuser mondialement à partir des années 70 environ. Dans le bassin du fleuve jaune, entre Hebei et Henan, Shanxi et Shandong, une culture martiale semble avoir toujours existé face aux menaces d’invasions venant du nord. Un esprit de résistance et de révolte a produit des mouvements d’opposition au pouvoir mongol institué, comme à la présence des barbares d’occident débarquant en force pour imposer leur culture coloniale dès 1850. Face à l’effondrement des valeurs culturelles classiques (fuite de l’empereur, marchandisation des produits, du travail et des hommes, industrialisation…) des intellectuels ont adopté le Taijiquan et lui ont donné ses lettres de noblesse en le référant, par lignage, aux classiques – NeiJing Suwen, DaoDeJing,…Xunxi comme aux personnages légendaires, intercesseurs entre le Ciel et les hommes.
Il est ainsi devenu un fleuron de l’esprit Han authentique capable de soutenir, culturellement, la concurrence des valeurs modernes pragmatiques.
L’ESPRIT DE LA TRADITION
La métaphysique fonde la physique. Le DAO nous montre la voie et nous invite à la vie.
L’univers est un tout organique, intégré sous l’emblème du TAI JI, principe suprême, unifiant et totalisant.
Le VIDE, SHU WU / WU JI, la vacance initiale et mystérieuse demeure le fond perpétuellement fécond et disponible à toute manifestation.
L’existence se vit, se dit et se lit dans la relation continuellement changeante de deux principes complémentaires et contradictoires YIN/YANG
Le jeu de ces forces agissantes crée, autant qu’il entretient le QI, cette présence sans forme, qui se prête à toutes les formes et tisse un réseau embrassant l’univers.
Vision globalisante où chacun trouve sa place dans l’ensemble et tient sa cohérence du réseau des souffles, QI qui constituent et animent tous les existants.
La sagesse est dans l’adhésion à ces forces, la maîtrise, dans la reconnaissance du processus en amont de sa manifestation effective.
WU WEI, ne pas trop en faire, ni agitation ni activisme, sentir les moments qui articulent tous les phénomènes, en amont de leur visibilité, pour être là, simplement et justement. Savoir prendre le temps, le temps qu’il fait et le temps qu’il faut; savoir apprécier la situation et les potentialités qu’elle contient pour se mettre en position favorable.
La Nature dans tous ses éléments montre un harmonieux déséquilibre; le savoir-faire du sage et du stratège s’inspire de cet art. L’EAU et le FEU dans leurs opérations réciproques entre CIEL et TERRE sont le modèle de toutes les cuissons, de toutes les concoctions pour la cuisine de la vie dans le grand chaudron universel.
L’ACTUALISATION dans la PRATIQUE
Le Taijiquan, boxe du Taiji, invite à vivre le mouvement à partir des distinctions yin/yang, comme vide/plein – avant/arrière – gauche/droite – haut/bas – avant/après – apparent/caché – ferme/fondant – centre/périphérie – stabilité/mobilité,… l’ensemble et les parties. Dès que l’on entre en mouvement, c’est avec tout le corps et à partir du centre, de l’axe et des pôles; on suit le déroulement de l’action au fur et à mesure de son développement, toujours branché sur le détail imperceptible qui amorce son déclenchement, toujours présent et en avance sur son actualisation et sur sa transformation. Par la culture du vide, on évite l’agitation et l’activisme, on se rend disponible à l’évènement et on savoure le moment.
L’AVENIR
Le Taijiquan s’exporte dans des lieux et des cultures différentes; ses fondements théoriques font qu’il se prête volontiers à tous les apports, toutes les interprétations et toutes les exploitations : méditation en mouvement, art martial, gymnastique de santé, danse énergétique, exotisme à la mode,… partout où des gens le pratiquent, il se donne pour fleurir en bouquets variés, en fonction des terroirs où il s’acclimate.
Aujourd’hui il s’exporte en costume officiel, promu par l’institut d’éducation physique de Pékin mais il vit aussi dans son habit ancien, d’avant la révolution culturelle partout où il a essaimé avec l’exode des populations et le développement des China towns. En Asie, bien sûr mais aussi sur les autres continents. Son décalage culturel a ouvert un espace de réflexion sur le corps et son habitation, qui a marqué aussi bien les approches thérapeutiques, relaxation, massage, correction posturale que la mise en scène du corps dans la danse et le théâtre.
Période de maturité où la différence culturelle s’efface au profit de la réflexion et du croisement des expériences, le Taijiquan résonne bien aujourd’hui avec les approches variées, psychosomatiques ou somatopsychiques qui pensent le corps autrement.